Le radiocarbone peut dépister des faux
Les tableaux faussés de grands artistes peuvent être dépistés par une simple datation au carbone-14. En effet, la toile ne peut en aucun cas avoir un âge inférieur à celui de la peinture elle-même. C’est sur cette base que plusieurs œuvres d’art auparavant jugées authentiques purent récemment être identifiées comme des faux.

L’isotope radioactif carbone-14 (C-14) est caractérisé par une demi-vie de 5715 ± 30 ans. Il est formé dans la stratosphère à partir de l’azote-14 sous l’effet du bombardement par des neutrons indirectement d’origine solaire.
Radiocarbone cosmique
Pour cette raison l’atmosphère contient en équilibre dynamique 1,25 x 10-10 pourcents de C-14. Celui-ci est oxydé en dioxyde de carbone et absorbé par photosynthèse par les végétaux, exactement comme le carbone ordinaire. Il s’implante également dans les tissus des herbivores et indirectement dans celui des carnivores. Mais après leur mort, le C-14 stocké dans les organismes se décompose et faute de nouveaux apports, sa concentration diminue graduellement. Il s’en suit que la radioactivité due au C-14 devient de plus en plus faible; son taux est proportionnel au temps écoulé depuis la mort de l’organisme d’où provient le spécimen examiné.
Grâce à la spectroscopie de masse par accélérateur (Accelerator Mass Spectroscopy, AMS en anglais) mesurant le taux de C-14 par rapport à l’isotope stable C-12, il est devenu possible de dater un spécimen avec juste quelques milligrammes de matériel. Dans le cas d’un tableau, quelques centimètres du fil de la toile suffisent. Des échantillons minuscules de la peinture peuvent également servir, à condition de contenir du carbone, par exemple de l’huile séchée par polymérisation.
L’AMS a apporté des progrès spectaculaires à la datation par C-14, mais cette performance a un prix. Une datation au C-14 par AMS est beaucoup plus compliquée et plus onéreuse qu’une mesure de radioactivité conventionnelle.
Applications légales
La datation au C-14 a récemment trouvé d’intéressantes applications dans la détection de faux d’œuvres d’art à l’Université Paris-Saclay. Il s’agissait de deux peintures de style impressionniste et pointilliste respectivement. Elles devaient donc dater du début du XXe siècle et avoir un âge de plus de cent ans. Or la datation au C-14 de fils de la toile donna un âge d’environ 70 ans. A cette époque, les artistes imités n’étaient déjà plus en vie.
De cette manière, les peintures datées au C-14 se révélèrent être des faux. Elles provenaient d’un atelier de restauration parisien où la police trouva de nombreuses autres toiles attribuables à des artistes de grand renom. Sur la base de leur style, elles avaient été créées entre le XIXe et le XXe siècle. Mais certains experts jugèrent les couleurs trop fraîches pour leur âge. C’est pour cette raison que l’on mandata Paris-Saclay de dater deux des toiles. On n’eut besoin à cet effet que de fil des toiles et d’un poil de pinceau extrait méticuleusement au bistouri.
Armes nucléaires à l’appui
Il peut paraître bizarre que les tests d’armes nucléaires effectuées dans l’atmosphère durant les années 40 à 60 du siècle dernier facilitent les datations au radiocarbone. Ils provoquèrent en effet une forte augmentation de la concentration de C-14 dans l’atmosphère et par là dans tous les tissus biologiques fossiles formés durant cette période. Si l’on mesure des taux de C-14 supérieurs au maximum naturel, il en suit que le matériel examiné ne peut pas être plus âgé que la période sub-mentionnée.
La datation au radiocarbone pour authentifier ou non des œuvres d’art a des précédents. Elle fut probablement utilisée en tout premier en 2014 pour le cas d’une peinture suspecte dans la collection Peggy Guggenheim à Venise. Avec la datation au radiocarbone, on dispose d’un procédé efficace pour dépister les faux tableaux sur la base de très petits spécimens de la toile ou de la peinture utilisée. Ceci est d’une grande importance pour le commerce d’œuvres d’art dont le chiffre d’affaires annuel va dans les milliards de dollars.
Référence: Carolyn Wilke, Nature 603, 374 (2022)